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L’écran sera comme un drap de pâleur mortelle où vont se déposer successivement, et dans un ordre aléatoire d’apparence, les lettres semblables à des oiseaux noirs en réduction, chacun avec sa forme précise et originale.
Leur combinatoire permettra de jouer à qui perd gagne, à saute-mouton, à chat perché, à qui aime bien châtie bien. Les lettres ne se battront pas entre elles, trop obéissantes pour cela, déterminées comme des monades spinozistes par les deux mains qui les dirigent (sans gants de velours). Aucune d’entre elles n’échappe à son sort, décidé une fois pour toutes : voilà qu’elles sont inscrites dans le marbre, ou l’albâtre, sur lequel elles se retrouvent propulsées sans plus jamais pouvoir se sauver.
Les paragraphes offrent un concentré de leurs chamailleries – elles discutent après coup – et de leurs voluptés qui découlent des compagnonnages hasardeux qu’elles rencontrent : ainsi, le « t » est à tu et à toi avec le « e », le « x » trône au milieu du texte lui-même.
Dehors, la nuit a commencé à tomber mais n’a pas encore transformé la vie en catastrophe. Claude Nicolas Ledoux veille au grain et la rotonde de La Villette – planète pacifique – allume ses quinquets, étoiles domestiques et veilleuses jusqu’à un certain point cinématographique.
Ensuite, le noir viendra s’étaler sur le blanc : quatre lettres qui s’entendent parfaitement, rion, la tête à l’envers. Ou rêvons.
(Photo : rotonde de La Villette, le 14 août. Cliquer pour agrandir.)
(Richard Wagner, Tristan und Isolde)