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Bob Dylan, François Bon, Interviews d'outre-tombe, Jérôme Pintoux, remue.net, XRoads, ZooParc de Beauval
J’ai connu l’ami Jérôme Pintoux à l’époque où je collaborais à remue.net (de mai 2003 à mai 2007) : un extrait de son Abécédaire Bob Dylan avait été publié dans la revue en ligne, mais j’en ignore la date, et comme je l’avais particulièrement apprécié – cette citation, au début, de David Bowie sur sa « voix de sable et de colle »… – j’avais alors demandé son adresse e-mail à François Bon.
Celui-ci écrira plus tard son fameux Bob Dylan, édité chez Albin Michel en août 2007, œuvre littéraire, musicale et « générationnelle » indispensable.
Un jour, par une après-midi de pluie, j’ai rencontré Jérôme Pintoux en live à Paris, après un rendez-vous manqué à l’Institut du monde arabe lors d’une excursion « à la capitale » avec sa classe, et il m’avait alors entraîné chez Gibert, au sous-sol, à la recherche de quelques CD rares : c’est un grand spécialiste de musique rock et de cinéma et il a longtemps été chroniqueur, en plus de son boulot de prof à Poitiers, au mensuel XRoads.
Tout récemment, il m’a annoncé que ses Interviews d’outre-tombe – il m’en envoyait parfois à déguster – venaient enfin d’être publiées, chez JBZ & Cie, et que l’on pouvait désormais les trouver à la Fnac (rubrique « Humour français » !) et dans pas mal de librairies ; je n’ai pas pensé à lui demander si une édition numérique était programmée. Une émission sur France Culture (la gloire…) est prévue prochainement.
Il est vrai que son livre est formidable, bâti sur une idée poussée jusqu’à ses limites. L’érudition abyssale et l’humour pince-sans rire créent ici un cocktail détonant. On attend déjà avec impatience le volume suivant puisque l’auteur dispose encore d’un nombre incroyable de munitions.
Ci-dessous, une interview de Jérôme Pintoux par lui-même et que je me contente de copier. Mais ce n’est pas, heureusement, un enregistrement d’outre-tombe.
Jérome Pintoux, vous publiez un volume d’interviews fictives ? Qu’est-ce que c’est donc ?
C’est un ouvrage à la fois ludique et pédagogique, une initiation à l’histoire littéraire, qu’on a délaissée dans les lycées, qu’on a un peu oubliée.
Mais vous avez interrogé des écrivains décédés ? Vous êtes un nécromancien ?
Non, pas du tout. Je n’ai fait tourner aucune table. Je ne suis entré en contact avec aucun « esprit »… Aucun médium ne m’a initié à l’art des tables tournantes ou des « tables mouvantes », comme on disait à l’époque de Victor Hugo.
Alors comment avez-vous procédé ?
Je me suis mis en situation : j’ai joué au pigiste d’un magazine littéraire. J’ai fait semblant de rencontrer des grands hommes du passé et je leur ai posé les questions qui me seraient venues à l’esprit si j’avais vraiment eu la chance de les côtoyer. C’était aussi un challenge pour moi : est-ce que je connaissais assez bien leurs œuvres pour faire à la fois les questions et les réponses ? Parfois la mayonnaise a pris. Parfois elle a tourné… Et l’interview a tourné court…
Souvent le questionnaire est interactif ?
Oui. Il déclenche sympathie, antipathie, complicité, connivence, rejet, hostilité entre les interlocuteurs. Je m’attendais par exemple à me disputer avec Léon Bloy dont je ne supporte pas l’intolérance, ça a été le cas, mais j’ai été surpris d’avoir de mauvais rapports avec Marguerite Yourcenar, que j’admire tant. Certaines questions lui ont déplu…
Quel était votre but ?
Faire lire ou relire. D’ailleurs, j’aimerais bien que mes lecteurs me disent quels écrivains mon petit livre leur a donné envie de lire ou de relire. Il faut inciter le lecteur à se plonger dans les œuvres comme dans des océans oubliés, ou méconnus.
J’avais l’intention de remettre au goût du jour des auteurs tombés dans l’oubli, mais mon éditeur, pour des raisons qui se comprennent, a préféré choisir de grandes pointures, Molière, Voltaire, Jules Verne… Il s’agit aussi de retrouver la voix des écrivains disparus et leur style, « l’inflexion des voix chères qui se sont tues », pour paraphraser Verlaine.
Interviews fictives : le genre peut paraître original ?
En fait, il n’est pas nouveau. Je n’ai fait que continuer une longue tradition, tombée en désuétude : les dialogues des morts. A la fin du XVIIème siècle, Fénelon, « le cygne de Cambrai », avait déjà mis en scène des gens du passé, deux peintres par exemple, le Lorrain et Poussin. Il les avait fait deviser aux Champs-Elysées sur leurs techniques respectives. Ou encore deux philosophes, ou deux héros d’Homère.
On pourrait imaginer une actualisation de ce vieux genre littéraire ?
Oui, des dialogues entre Jimi Hendrix et Kurt Cobain, Dali et Miro, André Breton et Robert Desnos, Wagner et Beethoven, John Lennon et Brian Jones, Racine et Corneille, Musset et Vigny, Balzac et Flaubert, Rimbaud et Baudelaire. Mais j’ai préféré aller directement interviewer des écrivains dans l’au-delà. Ce sont donc, la plupart du temps, des interviews d’outre-tombe. Mais je n’ai voulu concurrencer ni le Vicomte, ni ses fameux Mémoires !
D’autres projets ?
Oui, un deuxième volume, sur le XXème siècle. Ces interviews, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg : il y en a 77 dans ce petit livre, mais j’en suis à 1343 !
Jérôme Pintoux
Le 7.11.11.
(L’auteur au ZooParc de Beauval, Cher, le 31 août. Photo Caroline Pintoux. Cliquer pour agrandir.)
brigetoun a dit:
bon… reste plus qu’à se le procurer, projet
Dominique Hasselmann a dit:
@ brigetoun : Yeah !
Jerome a dit:
C’est une sorte de Bernard Pivot qui voyage dans le temps et qui va interroger César sur les druides, Verlaine sur les fantômes, Edgar Poe sur la femme idéale…
Dominique Hasselmann a dit:
@ Jerome : une émission qui nous manquait !
Nicolas Bleusher a dit:
Rhinoféroce ?
Dominique Hasselmann a dit:
@ Nicolas Bleusher : cette photo n’est pas un montage… ni une interview animalière !
gballand a dit:
Je garde précieusement les références. Merci. Je me suis un peu promenée sur remue. net., que de contributions…
Dominique Hasselmann a dit:
@ gballand : l’émission sur France Culture s’appelle Tire ta langue et est programmée, d’après Jérôme Pintoux, pour une diffusion en décembre.
M a dit:
Une très bonne idée littéraire, qui a l’air traitée avec érudition, humour et sans que l’interviewer ne perde un pouce de sa personnalité…
Juste une remarque, car tant qu’à faire dans l’histoire de la littérature, autant remonter aux sources, c’est le Grec Lucien qui a lancé l’idée d’un « Dialogues des morts » . Se retrouvant aux Enfers, les décédés célèbres, vrais ou mythologiques, s’interpellent, s’interviewent, s’admirent ou s’accablent de reproches. On y retrouve Alexandre, Hannibal, Philippe, Ajax, Agamemnon, Diogène, Hercule…
Dominique Hasselmann a dit:
@ M : Je laisserai J.P. te répondre : cela m’étonnerait pourtant qu’il ne connaisse pas cette origine, il a pris juste un exemple sans vouloir remonter jusqu’à l’Antiquité, me semble-t-il. Car ces personnages ne figurent pas dans le Lagarde et Michard !
M a dit:
Il ne peut que la connaître, je n’en doute pas.
Lagarde et Michard font souvent référence aux grands Anciens, ne crois pas. Ceci étant, la mode n’était pas à l’époque à parler à tout bout de champ d’ « l’intertextualité », mais justement parce que l’enseignement faisait la part belle et presque automatique au grec et au latin, dont les textes étaient étudiés ailleurs.
@ M : Le Lagarde & Michard du XIXème siècle (Bordas 1969), qui a pour sous-titre « Les grands auteurs français du programme », commence par Madame de Staël et continue par Chateaubriand, Lamartine, Victor Hugo, Alfred de Musset et de Vigny, George Sand, Balzac, Stendhal, Sainte-Beuve, Baudelaire, Flaubert, les Goncourt, Maupassant, Verlaine, Rimbaud, Jean Mauréas, Mallarmé, Eugène Fromentin, Henri Becque, Maeterlinck, Anatole France, Pierre Loti… : les Grecs doivent avoir une dette quelque part ! D.H.
Jerome a dit:
Oui, c’est vrai. Ensuite il y a eu Plutarque.
Et même, avant Lucien, Platon.
Ce sont peut-être des dialogues imaginaires. Socrate ne serait qu’un personnage (d’après Lacan).
M a dit:
Mais les dialogues de Platon sont tout de même censés avoir lieu entre vivants (de la même époque)!
Jerome a dit:
Oui, mais ce sont peut-être des entretiens fictifs.
En tout cas, c’est une longue tradition.
M a dit:
Exactement.
chantal serrière a dit:
Génial! Et j’espère que l’émission n’oubliera pas Ionesco.
Dominique Hasselmann a dit:
@ chantal serrière : il s’imposerait (mais problèmes de transport)…
Pierre Chantelois a dit:
Pourvu qu’une maison d’édition du Québec ait l’idée géniale d’importer ce bouquin qui me semble une « mine d’art ».
Dominique Hasselmann a dit:
@ Pierre Chantelois : excellente idée !
Jerome a dit:
Merci Pierre, c’est très sympa de votre part.
Jerome a dit:
Je rêve de ça ! me faire inviter au Québec… En principe, JBZ-Hugo et Cie, ça doit être diffusé là-bas…
Claire Bouchard-Mervant a dit:
Belle ouverture de fenêtre sur un autre monde…
Dominique Hasselmann a dit:
@ Claire-Bouchard-Mervant : certaines approches littéraires fonctionnent comme une poignée de fenêtre…
Jerome a dit:
Merci, Claire. J’espère que cet autre monde vous plaira.
Dominique Hasselmann a dit:
@ Jerome Pintoux : merci de m’avoir envoyé l’article paru ce 24 novembre dans La Nouvelle République.
L’émission de France Culture est donc bien annoncée pour le 18 décembre à 12 heures.