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(scan : agrandir n’est pas impératif.)
« Toi, si cela est possible, ne gagne pas aussitôt les frênes et les sapins, ne monte pas sur le flanc de la montagne où tu t’exposerais, reste au cœur du cyclone où tu seras le mieux dissimulé. Fuis sur place, là tu vivras la vie la plus paisible. Passe de ruelle en ruelle puis d’arrière-cour en arrière-cour pour retrouver la poussière des bâtons de couleurs de Skira derrière le canal Saint-Martin. Glisse-toi entre les plantes et les fusains, cache-toi derrière les bambous du marchand de fleurs de la rue de Buci, pour grimper en rond dans l’escalier interminable, et déboucher, enfin, sous les toits, dans l’atelier brinquebalant de Cremonini. Avance parmi les tours en ruine du 93, les poubelles éventrées, les voitures brûlées, l’ascenseur inutilisable, les vitres cassées et pousse la porte de l’atelier de Rustin. Je me désabonnai de la compagnie de téléphone et du même coup d’internet pour ne plus être rejoint par quelque devoir que ce fût. L’adresse mail se résorba d’un coup sur l’écran comme une buée sur une vitre quand l’hiver s’interrompt. Je sectionnai les fils électriques des sonnettes. Je mangeai des noisettes et tous les fruits de la saison en buvant du vin de Gex ou de Bellegarde. Toujours moins de fruits. Toujours plus de vin. Je m’endormais là où je lisais. Je voyageais sur place. Le grand voyage n’est pas vraiment sédentaire, ou plutôt il a lieu dans une « non-place » , il a lieu dans un coin de n’importe où, il a lieu dans l’angle d’un mur, il a lieu dans le non-espace, il a lieu dans le temps. (…) »
Pascal Quignard, Les désarçonnés (Grasset, septembre 2012, pages 306-307).
brigetoun a dit:
que dire ? rien déguster…
et admirer tout spécialement, avant de lire Quignard, la première photo
Dominique Hasselmann a dit:
@ brigetoun : c’est un scan, mais sur la glace on ne voit que deux des quatre pattes de l’animal…
Gilbert Pinna a dit:
» Fuis sur place » ou une intense évaporation.
Dominique Hasselmann a dit:
@ Gilbert Pinna : comme une image dialectique.
nicolas a dit:
Mais qu’est-ce qu’il raconte? il a pas de jet? il a donc râté sa vie cet assisté?
Dominique Hasselmann a dit:
@ nicolas : ?
nicolas preum a dit:
je parle de se déplacer en jet plutôt qu’à cheval comme l’ex monarque d’où mon pseudo souverain
@ nicolas prem : OK, c’est plus clair ! Merci. D.H.
alainlecomte a dit:
« Avance parmi les tours en ruine du 93, les poubelles éventrées, les voitures brûlées, l’ascenseur inutilisable, les vitres cassées »: bonjour les clichés! 🙂
Dominique Hasselmann a dit:
@ alainlecomte : toute réalité est un cliché (si l’on prend ce terme, ou la photo, dans une certaine acception). Le tout est de savoir comment il ou elle s’insère dans un ensemble (San Francisco est un cliché ou de la Science-Fiction).
Claire a dit:
Je voyageais sur place
Comment ne pas être d’accord avec une telle affirmation ?
Dominique Hasselmann a dit:
@ Claire : il est vrai que le titre de votre blog concorde.
Dominique Autrou a dit:
La netteté, là où l’on ne l’attend plus.
Dominique Hasselmann a dit:
@ Dominique Autrou : son écriture est précise.
le p'tit Suisse a dit:
Superbe texte. Pour la vue troublante du canal Saint-Martin, on la mettra sur le dos du vin de Gex ou de Bellegarde cité par Pascal Quignard
Dominique Hasselmann a dit:
@ le p’tit Suisse : ou d’un Fendant…
P'tit Suisse a dit:
…ou même d’un Johannisberg de Chamoson !
jeandler a dit:
En ce monde, chaque jour, de plus en plus désarçonnés. Y a-t-il encore quelque monture valable que l’on se risquerait de chevaucher ?
La lecture de cet ouvrage de Quignard m’a reporté sans cesse vers la route des Flandres et de l’agonie de ces chevaux de guerre massacrés, leurs cavaliers sans bride à la main.
Dominique Hasselmann a dit:
@ Jeandler : on peut trouver en effet une parenté (littéraire) avec ce Claude Simon-là.
Zoë Lucider a dit:
Jetés à bas par Rossinante ?
Dominique Hasselmann a dit:
@ Zoë Lucider : s’il n’y avait qu’elle…
Bonheur du Jour a dit:
Ah ! …. Pascal Quignard….. Tout est dit.
Dominique Hasselmann a dit:
@ Bonheur du Jour : j’ai pensé que le texte (l’extrait) parlait de lui-même.
Sorcière a dit:
Très beau texte qui me parle intensément vu que ma monture est un balai facétieux qui me transporte de plus en plus souvent sur place 😉
Ce texte a fait écho en moi sur l’immobilité avec un autre texte tiré de « City », d’Alessandro Baricco :
« »Tout serait plus simple si on ne t’avait pas inculqué cette histoire d’arriver quelque part, si seulement on t’avait appris, plutôt, à être heureux, en restant immobile.
Toutes ces histoires à propos de ton propre chemin.
Trouver ton chemin. Suivre son chemin. Alors que si ça se trouve on est fait pour vivre sur une place, ou dans un jardin public, là sans bouger, à faire que la vie passe, si ça se trouve on est un carrefour, le monde a besoin qu’on reste là sans bouger, ce serait une catastrophe si on s’en allait, à un moment donné, suivre notre route,
mais quelle route ? les autres sont des routes, moi je suis une place, je ne mène à aucun endroit, je suis un endroit. »
Dominique Hasselmann a dit:
@ Sorcière : beau miroir en réponse !
Sorcière a dit:
Pas autant que tes photos Dominique !
50phik4 a dit:
Dominique, ton humeur vagabonde est l’exact écho de cet extrait… 😉
Dominique Hasselmann a dit:
@ 50phik4 : merci, même si je ne suis pas un tout jeune blondin !