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Aux sources de la peinture Aborigène, Bertolt Brecht, musée du quai Branly, photos "volées", Walter Benjamin
« De même, en effet, qu’à l’âge préhistorique la prépondérance absolue de la valeur cultuelle avait fait avant tout un instrument magique de cette œuvre d’art, dont on n’admit que plus tard, en quelque sorte, le caractère artistique, de même aujourd’hui la prépondérance absolue de sa valeur d’exposition lui assigne des fonctions tout à fait neuves, parmi lesquelles il se pourrait bien que celle dont nous avons conscience – la fonction artistique – apparaisse par la suite comme accessoire (1). Il est sûr que, dès à présent, la photographie puis le cinéma fournissent les éléments les plus probants à une telle analyse. »
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(1) A un autre niveau, Brecht présente des considérations analogues : « Dès que l’œuvre d’art devient marchandise, on ne peut plus lui appliquer la notion d’œuvre d’art ; aussi devons-nous, avec prudence et précaution, mais sans crainte, renoncer à la notion d’œuvre d’art, si nous voulons conserver sa fonction à la chose même que nous entendons désigner. Car c’est une phase qu’elle doit traverser, et cela sans arrière-pensée ; ce détour n’est pas gratuit, il aboutit à une transformation fondamentale de l’objet et efface à tel point son passé que, si l’ancienne notion retrouvait son usage – et pourquoi ne le retrouverait-t-elle pas ? –, elle n’évoquera plus aucun des souvenirs liés à son ancienne signification. »
(Bertolt Brecht, Der Dreigroschenprozeß », Versuche 8-10, fasc. 3, Berlin, Kiepenheur, 1931, p. 301 sq.)
Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique (Gallimard 2000, Editions Allia 2003, pages 30-31).
Le musée du quai Branly (Paris, 7e) demeure un très beau bâtiment, avec son mur végétal, son jardin extraordinaire, et son architecture intérieure en colimaçon.
Pour l’expo Aux sources de la peinture Aborigène, il faudrait pourtant ne prendre ni photo ni vidéo et respecter la consigne placardée : « En raison de l’extrême sensibilité des œuvres… ».
On se demande pourquoi on trouve alors tant d’images, fixes ou bougeantes, sur Internet concernant cette exposition : à demain, pour quelques photos (comme cela est encore autorisé dans d’autres musées) supplémentaires et « volées » mardi par simple amour de l’art.
(Photo : agrandir impunément.)
brigetoun a dit:
merci pour Benjamin et Brecht – éveille l’esprit à cette heure encore matinale.
Pour l’exposition, le nombre d’images = l’instinct de transgression des règles, pour l’interdiction, je plaide : peut être que, si oeuvres en sable ou pigments naturels volatils, l’interdiction n’est pas, cette fois, sans raison
reste la question : détournement des oeuvres en en faisant objet d’exposition, mais pourquoi le leur interdire ?
Dominique Hasselmann a dit:
@ brigetoun : la plupart des toiles (qui ne datent pas de trois siècles) sont en acrylique.
Leur fragilité (pour ne pas dire leur « sensibilité »), si elle était avérée, pourrait aussi être atteinte par la lumière muséale qui les éclabousse et l’haleine des spectateurs qui peuvent s’en approcher jusqu’à 10 cm ou plus près encore.
Bonheur du Jour a dit:
Walter Benjamin, justement. Incontournable de plus en plus. Je suis justement en train de lire la correspondance de Hannah Arendt avec Gershom Scholem dans laquelle on voit l’acharnement de cette dernière à tenter de faire publier l’oeuvre de Benjamin…..
Dominique Hasselmann a dit:
@ Bonheur du Jour : inépuisable.
gballand a dit:
Les photos volées sont les meilleures 😉
Dominique Hasselmann a dit:
@ gballand : ça dépend de leur définition (là, j’en ai pris aussi avec mon smartphone, dont celle-ci qui n’avait pas été enregistrée !) et parfois ce n’est pas terrible.
Lignes bleues a dit:
La notion de phase semble issue d’un croisement du marxisme et de la psychanalyse, sans renier (of course) l’importance de l’un et de l’autre comme modèles explicatifs, je préférerais, mais bon, c’est l’idée du jour, et en tant que telle, forcément réductrice, celle de « commerce » au sens d’ « échange » entre la matière et la forme, le monde et sa représentation y compris abstraite), l’esprit et l’émotion, l’intime et l’exhibition, la solitude et la foule, l’humain et l’au-delà de l’humain (la vie, la mort, l’instant, l’éternité, le néant)
ne pas réduire le commerce à la marchandisation et l’art n’est pas un « produit » comme un autre : non à l’extension ronflante du droit à l’image
Dominique Hasselmann a dit:
@ Lignes bleues : le radicalisme de la pensée de Brecht (qui a fait représenter ses propres oeuvres) n’est pas forcément à prendre à la lettre.
Je ne suis pas un partisan enragé du « droit à l’image » (vous voulez dire celui des tableaux ?), simplement la pancarte m’a fait sourire…
Pierre Chantelois a dit:
Une photographie sans flash ne peut en rien altérer l’intégrité d’une œuvre. Je n’insisterai pas outre-mesure sur cette disposition précieuse des gestionnaires de musées.
Dominique Hasselmann a dit:
@ Pierre Chantelois : ou disposition « spécieuse » ?
Pierre Chantelois a dit:
L’esprit lent et le doigt alerte font d’un mot inversé une terrible coquille… 😉
@ Pierre Chantelois : mais non, je l’ai comprise comme un trait ironique ! D.H.
Skif a dit:
Voler une photo implique un désir préalable, une motivation forte, qui précède une délibération élaborée (le jeu en vaut-il la pellicule?), une délicieuse partie de cache-cache avec le gardien dont on anticipera la promenade erratique ou itérative, éventuellement un complice guetteur ou comédien bref, non pas une réception passive et lourdement piétinante de l’œuvre, mais une chasse au moment idoine, une entre prise passionnante de captation.
Dominique Hasselmann a dit:
@ Skif : jeu du ça… et de « je souris » par rapport aux caméras de vidéosurveillance et aux gardiens (certains maintenant « en civil »)…
PdB a dit:
Cette disposition contre les photos et vidéos fait immédiatement écho à Internet et à sa diffusion libre de droit : les musées se trouvent dans cette situation qu’ils créent eux-mêmes de divulgateur et de défenseur d’objets qu’ils ont pour mission de faire connaître, mais dans le même temps, ils font commerce de cette mission. Si l’Etat avait un minimum de conscience pédagogique (et pas uniquement fiscale) envers ses administrés, il ne fait pas de doute que l’entrée de ces lieux serait gratuit (comme chez sa gracieuse Majesté). Il ne fait aucun doute non plus que les interdictions de photographier et de filmer ce que présentent ces institutions sont une disposition inique, idiote et inutile, qui tombera aussi vite qu’elle a été instituée depuis quelques années. On s’en fout de savoir qu’on a le droit ou pas de photographier telle ou telle oeuvre, on la photographie et c’est tout. Merci déjà pour demain (tous mes voeux, hein…)
Dominique Hasselmann a dit:
@ PdB : l’Etat, pas totalement idiot en toutes circonstances, a rendu gratuite, depuis le 12 décembre de l’année dernière et pour toute cette année 2013, l’entrée pour les visiteurs de l’immense « Galerie du temps » du Louvre-Lens.
Quant aux photos, s’ils ne veulent pas qu’on en prenne, qu’ils fouillent à corps les clients à l’entrée.
Gilbert Pinna a dit:
En raison de l’extrême sensibilité du public, il est strictement interdit de visiter l’exposition. Les prises de tête ( psychiques et mentales) ne sont pas autorisées.
Skif a dit:
🙂 !
Dominique Hasselmann a dit:
@ Skif : :))))
Dominique Hasselmann a dit:
@ Gilbert Pinna : il faudra proposer votre excellente formule à quelques-uns des organisateurs de ces lieux !
les cafards a dit:
quelle connerie d’interdire les photos sans flash à l’heure du tout numérique ! En tout cas, on attend demain avec impatience
Dominique Hasselmann a dit:
@ les cafards : les tablettes n’ont pas non plus accès (sauf les cunéiformes).
le p'tit Suisse a dit:
« L’exposition présente pour la première fois en Europe un mouvement artistique majeur, né à Papunya dans le désert d’Australie centrale, au début des années 1970 », dixit la présentation internet de l’expo. Effectivement nous sommes donc dans la préhistoire de cet art ! 42 années sont déjà à peine passées que ces oeuvres seraient bien plus fragiles que la Vénus de Milo. Les bras m’en tombent !
Dominique Hasselmann a dit:
@ le p’tit Suisse : Milo sévit !
La solution serait peut-être, comme pour la grotte de Lascaux, de faire des copies de certains musées eux-mêmes, avec reproduction de leurs oeuvres, afin d’éviter toute « détérioration » objective.
jeandler a dit:
Sensibilité ou fragilité.
Les œuvres sensibles; l’artiste fragile.
Sans sensiblerie.
Dominique Hasselmann a dit:
@ jeandler : une question sans doute de bon sens.
Julien Boutonnier a dit:
Il faudrait imaginer un musée où il serait interdit de regarder les oeuvres, pour que tout reste en ordre, pour que tout soit absolument maîtrisé. Une sorte d’extrême interdiction. Et les visiteurs marcheraient en regardant leurs pieds, sous l’oeil sévère d’une multitude de gardiens (beaucoup plus nombreux qu’eux) qui n’auraient eux-mêmes pas le droit de voir les expositions.
Et, peut-être, les oeuvres dépériraient d’elles-mêmes de ne pas être regardées…
Dominique Hasselmann a dit:
@ Julien Boutonnier : on l’appellerait le Musée invisible, avec son slogan évident : « Circulez, il n’y a rien à voir ! » (et non « On n’y voit rien »…).
Sorcière a dit:
Qui sait ? une photographie pourrait peut-être bien voler l’âme d’une oeuvre ! ? Un regard aussi à défaut de paiement préalable pour obtention d’une indulgence donnant accès au paradis de la culture merchandisée …
J’avoue qu’imaginer Dominique en immersion et en caméra cachée est très excitant ! 😉
Dominique Hasselmann a dit:
@ Sorcière : vous voulez me coller au plafond ?
Zoë Lucider a dit:
Un mouvement artistique des années 70 ?! Sauf qu’il prend sa source dans un art très ancien (40000 ans selon les ethnologues) qui se serait sans doute développé si les Anglais n’avaient pas envoyé leurs convicts purger leur peine au bout du monde puis assassiner la population locale, la réduisant de plus d’un million à 60000 en deux siècles et ne lui concédant le droit à la terre qu’à partir de 1992 et encore le processus n’est pas achevé. Je ne pourrai pas visiter cette expo et donc j’attends les photos (illicites :-)).
Bonne année cher Dominique
Dominique Hasselmann a dit:
@ Zoë Lucider : je n’ai pas voulu faire un « historique » du peuple aborigène… mais il est clair que la peinture « actuelle » fait référence aux traditions millénaires (ce n’est pas du cubisme mais plutôt un genre de pointillisme…) et prolonge ce passé en le revivifiant.
Meilleurs voeux à toi aussi !
dominique autrou a dit:
Désormais confrontés à cette sorte de dérive marchande (tout en étant conscient d’écrire des sottises, tellement l’évidence du commerce est là) tenons-nous en au souvenir visuel et ignorons les cartes postales de la boutique (difficile au moment des voeux)
PS: ou bien ceci ?
Dominique Hasselmann a dit:
@ dominique autrou : Tu as dévoilé la dernière trouvaille d’InnovMania : désormais, grâce à toi, on devra bientôt déposer ses lunettes (comme pour les photos d’identité officielles) au vestiaire du musée avec sac à dos et parapluie !