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Jeudi soir, j’ai recherché ce livre de Jacques Réda car j’avais envie de mettre une citation « rythmée » de lui pour le « post » hébergé vendredi dernier, à l’occasion des Vases communicants, sur le site de Christophe Rossi, déboîtements.
Et en retrouvant cet ouvrage, avec son beau titre, j’ai découvert à l’intérieur un article (tout jauni, le numérique n’existait pas encore…) de Lucien Malson, que j’avais découpé dans Le Monde du 19 février 1982, annonçant la mort de Thelonius Monk.
Quand je vois la manière dont mes ciseaux avaient entamé le titre de la rubrique « Disparitions », je pense qu’il suffirait maintenant de rajouter un « t » avant le premier « i » pour être au plus près de la vérité.
J’ai donc relu, de manière impromptue, un passage de Jacques Réda (L’improviste, Gallimard, 1980, pages 132-133) sur ce compositeur et pianiste de jazz, gaming hors des sentiers battus :
« Le ressort de l’opiniâtreté qu’on a reconnue à Monk pourrait bien être un refus d’admettre que la musique ne soit pas tout ; que la vivante durée musicale s’achemine toujours vers le silence d’où elle procède et qui l’anéantit, vers le temps indifférencié qui tel une eau pesante se reforme sans mémoire et sans trace, lisse comme si rien ne l’avait troublée et ne devait plus jamais surgir. Ainsi l’acte créateur de Monk vise à incorporer ce qui le nie, ou à le mimer, selon un mouvement très différent du frémissement inaugural et séducteur qui se découvre chez des types distincts de lyriques (Django Reinhardt, ou Tommy Flanagan pour citer un autre pianiste). Car là ce qui se prononce est semblable à l’éclosion à la fois forte et fragile du point du jour, à cette vacillation émouvante qu’engendrent à l’origine un « quand même » d’espérance ou de certitude, et la conscience d’engager ce « quand même » sur une courbe qui de façon tout aussi irrésistible obéit au déclin. Monk autoritairement brise cette courbe pour ainsi dire à la racine, et c’est pourquoi on l’a parfois décrit sommaire et négateur. Mais s’efforçant de nier ce qui tend à nier la musique, il substitue en fait à l’illusion et à l’obliquité lyriques (Bud Powell, Flanagan), une ambition plus prodigieuse dont le terme extrême prendrait à revers le temps, le silence, l’espace par une sorte d’enveloppement instantané érigeant la musique au-delà de son propre commencement dans une présence définitive, totale, c’est-à-dire non « à la place » du silence et du temps, mais suivant une nouvelle répartition des pleins et du vide, de l’instant et de la durée ; une gestion ensemble si exacte et imprévisible de leurs rapports, que même ce qui l’empêche ou l’exclut s’intègre dans le mouvement de la musique. »
(scans : cliquer ou bouger l’image pour agrandir.)