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circulation, hélice, Jessica Chastain, Juliette Binoche, Léonard de Vinci, Le Patient anglais, Luigi Nono, mer, point de fuite, The Tree of Life
(Paris, 1er février, bd de Clichy, 9e. Agrandir la photo.)
On va tracer sur l’écran blanc (encore cette neige et voici même des pas d’oiseaux), sans savoir où l’on va, j’ai dans la tête la prochaine augmentation du gasoil – ils l’écrivent « gazole », c’est moche – il faudrait s’en débarrasser mais ce n’est pas évident, ça manque de transports en commun, ou alors ressortir son vélo, mettre un casque peut-être comme en temps de guerre, galette des Tommies comme celle de Juliette Binoche dans Le Patient anglais, et aller affronter la noria des voitures, des camions-poubelles, des scooters serpentins qui se jouent de toutes les règles de conduite pour que la pizza arrive enfin tiède à domicile, rêver, en fait, de pouvoir planer au-dessus de toute la circulation, chacun avec sa petite machine à la Léonard de Vinci, des éoliennes volantes en réduction, les Verts seraient contents, les flics certes moins car comment gérer tout le bazar, plus de trottoirs, de lignes blanches peintes, droites ou en pointillés, de panneaux de signalisation (sauf sur la visière du casque lui-même, affichage « tête haute » ?), de carrefours, de feux rouges, de passages pour piétons, parfois des aveugles, chiens, poussettes d’enfants, trottinettes, skateboards, vélos libérés mais à contresens, joggers rapides ou marcheurs lents, coursiers, coureurs, livreurs livrant coûte que coûte, lisant à point d’heure, téléphones ambulants et cabines esseulées, parapluies retournés par une saute d’humeur du vent, pluie cinglant (cliché ?) les visages où des larmes furtives se trouvent enfin noyées dans une mer plus vaste, bourrasques à la fantaisie indomptable et alors on rentre dans un lieu éclairé, chaud, on s’assoit à une table, on boit un café minuscule dont la dimension est calculée pour que l’on en exige aussitôt un deuxième, mais survoler tout ça serait mieux, imitant la liberté des mouettes rieuses ou sérieuses, remonter jusqu’à l’embouchure, déclencher les sirènes ou les trompettes, l’aigu vrille avec douceur l’oreille, le son mélodieux atteint des sommets impalpables et puis se déclenche une sorte de magma fuligineux, la musique-lave (revu récemment The Tree of Life avec l’adorable Jessica Chastain), ouverture vers l’improbable rencontre, les retrouvailles au milieu du désert des sentiments, il n’y aurait plus de barrières entre les années, le temps ne serait plus quantifiable, mesurable, limité, découpé par des aiguilles ou des chiffres déroulants, il s’étendrait comme une plage à perte de vue sans que l’on puisse même distinguer une seule vague à l’horizon, il ressemblerait à une dune plate et immense, sans aucune ride, seul un souffle marin se ferait entendre, un flux qui gronde agréablement, un mouvement répétitif qui vibrerait dans l’air comme l’anche d’une clarinette, et enfin l’envol grâce à la minuscule hélice d’une puissance incroyable de propulsion, prendre alors de la hauteur et ne plus quitter des yeux le point de fuite invisible.
(Paris, 1er février, rue de Marseille, 10e. Agrandir la photo.)
(Luigi Nono, Omaggio a György Kurtág)