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Althusser, boules, Colonel-Fabien, coupole, Dominique Grange, jeu dialectique, lutte des classes, PCF, Roger Caillois
En fait, la grosse boule blanche, qui est la coupole du siège du PCF, place du Colonel Fabien à Paris (10e-19e), représente la mère des boules que les joueurs (uniquement des hommes) envoient en l’air, tirent ou pointent vers le cochonnet, et ce à gauche ou à droite.
Elle a atterri là un jour et n’en a plus jamais redécollé, d’autant que son créateur est parti, le 5 décembre de l’année dernière, vers d’autres cieux.
Jouer sur le terre-plein central, ce serait ainsi comme faire la nique aux théoriciens de la lutte des classes – s’ils osent encore employer ce terme trop désuet – et montrer que le loisir l’emporte sur le travail, l’amusette sur l’anisette (eh oui, on n’est pas à Marseille !), le plaisir du jeu dialectique et sa conclusion imprévisible sur le déroulement fastidieux des jours.
Chacun a d’ailleurs accroché son attirail sur un arbre, comme un pêcheur pose son épuisette avide au bord de l’eau.
J’ignore, hélas, si Althusser jouait aux boules.
Pour Roger Caillois, le jeu est une activité :
« 1° — libre : à laquelle le joueur ne saurait être obligé sans que le jeu perde aussitôt sa nature de divertissement attirant et joyeux ;
2° — séparée : circonscrite dans des limites d’espace et de temps précises et fixées à l’avance ;
3° — incertaine : dont le déroulement ne saurait être déterminé ni le résultat acquis préalablement, une certaine latitude dans la nécessité d’inventer étant obligatoirement laissée à l’initiative du joueur ;
4° — improductive, ne créant ni biens ni richesse, ni élément nouveau d’aucune sorte ; et, sauf déplacement de propriété au sein du cercle des joueurs, aboutissant à une situation identique à celle du début de la partie ;
5° — réglée : soumise à des conventions qui suspendent les lois ordinaires et qui instaurent momentanément une législation nouvelle, qui seule compte ;
6° — fictive : accompagnée d’une conscience spécifique de la réalité seconde ou de franche irréalité par rapport à la vie courante. »
(in Les jeux et les hommes, Idées nrf N° 125, février 1967, pages 42-43)
(Photo : hier, 16:57. Cliquer ou bouger pour viser différemment.)
(Dominique Grange, Les Nouveaux Partisans)
brigetoun a dit:
j’aime bien moi ‘lutte des classes » – goût de sa jeunesse ? –
j’aime bien aussi la boule qui est assez peu ronde, je me demande ce que cela donnerait si on essayait de tirer avec, faudrait tenir compte des risques de déviation
Et j’aime bien surtout le caddie porte boules
sans compter Caillois
Dominique Hasselmann a dit:
@ brigetoun : je ne fais que me mettre « dans la tête » des boulistes… et je regrette, en plus de la disparition du concept de « lutte des classes » – ce qui en fait exactement partie – celle, plus récente, de la faucille et du marteau sur la carte d’adhérent au PCF.
L’église catholique, dans un semblable et peut-être proche « Risorgimento », enverra-t-elle sa croix aux orties ?
gballand a dit:
Et tout part d’une boule… bravo. Au fait, ils sont inscrits au PC, les joueurs ?
Dominique Hasselmann a dit:
@ gballand : je ne leur ai pas demandé leur carte puisque justement elle n’identifie plus symboliquement cette appartenance !
potaux a dit:
On a peu parlé de Stalingrad, en ce début de mois. Ce fut pourtant une « gigantesque lutte de classes »(Domenico Losurdo)
il y a aussi le Rap de Kash contre les licenciements à Aulnay.
Quelques semaines avant mai 68, la France s’ennuyait, n’est-ce pas?
Dominique Hasselmann a dit:
@ potaux : pas d’ambition ici à l’exhaustivité (simplement une notation brève).
Oui, Viansson-Ponté s’était montré un très fin analyste politique (maintenant, on a encore Ivan Levaï…)
Natacha S. a dit:
C’était pourtant un joli nom, camarade…
Dominique Hasselmann a dit:
@ Natacha S : Merci. Mais ils n’ont pas encore réussi à rayer ce mot du vocabulaire.
Skif a dit:
« J’ignore, hélas, si Althusser jouait aux boules. »
Vous avez l’alexandrin tétramètre aisé ce matin, Dominique, ça roule tout seul.
Dominique Hasselmann a dit:
@ Skif : si vous le dites (je n’ai pas compté !)…
biscarrosse2012 a dit:
Je trouve génial cet art de la flânerie déambulatoire et photographique qui donne (a priori et a posteriori) un sens dramatique à des images prises dans l’esprit du hasard et trouvent enfin, toujours, une place (colonel Fabien) essentielle dans des discours doués d’un fil conducteur très solide.
Et j’apprend aussi le rôle et l’importance de grands mots et de petits mots comme : « mère des boules » ; « tirer vers le cochonnet » (à gauche ou à droite) ; « faire la nique » ; « amusette » (contre anisette) ; « attirails accrochés »/ »épuisettes avides ».
Je partage la mélancolie suggérée par la sensation d’abandon subi par la « mère des boules » (c’est-à-dire la lutte de classe symbolisée par la coupole et tout ce qui meurt ou devient fantôme avec elle, Niemeyer en tête) qui gît sur le côté de ce champ de jeu qui est devenu le véritable centre de l’attention (et de l’attirail).
Touche finale : l’évocation de quelques notes de Roger Caillois sur le sens du jeu. L’écrivain et philosophe d’ailleurs, comme on lit dans l’article cité, « désire… fonder sa phénoménologie de l’imagination sous le signe de la rigueur scientifique, et non dans le cadre d’une activité purement littéraire qui ne serait que jeu. »
Dominique Hasselmann a dit:
@ biscarrosse2012 : Roger Caillois a toujours su, malgré ce qu’il prétend, allier l’exploration et le dénombrement scientifiques avec un art littéraire serti de quelques diamants : il aurait ainsi été pris à son propre jeu.
JEA a dit:
tout petit de petit, je fus conduit en France pour la première fois, c’était à Givet
le long de la Meuse, des mariniers jouaient
nous approchons, l’un d’entre eux lance une boule qui roule vers moi, je m’empresse maladroitement de la prendre pour m’encourir lui rendre
ce jour-là, j’appris en quelques minutes plus d’injures qu’a long des années précédentes…
Dominique Hasselmann a dit:
@ JEA : l’anecdote est savoureuse, j’espère qu’elle ne vous a pas éloigné à jamais de la pétanque !
jeandler a dit:
La lutte des classes… On rêve.
On les a fait ses classes et sommes tous devenus des déclassés.
Dominique Hasselmann a dit:
@ jeandler : dites cela aux travailleurs d’Arcelor ou de PSA, ils savent ce que c’est, eux.
(Les Déclassés, un livre, que j’ai toujours, de Jean-François Bizot, 1976.)
Hervé a dit:
Depuis ma lecture d’Hôtel du Nord, au catalogue de publie.net, je me suis promis de faire un jour le trajet Gare de l’Est-Hôtel du Nord-Place du Colonel Fabien et terminer par une cibiche tranquille sur les flancs des Buttes Chaumont. Si ça vous dit de m’accompagner…
Dominique Hasselmann a dit:
@ Hervé : avec plaisir, faites-moi un signe…
Jor Vysenface a dit:
Après la faucille et le marteau, les communistes vont-ils aussi perdre la boule ?
Dominique Hasselmann a dit:
@ Jor Vysenface : tu sais sans doute que leur bâtiment a déjà été loué pour des manifestations commerciales capitalistes… et même un défilé de mode de… Pra(v)da.
Je me souviens l’avoir relevé, comme tu peux le constater, dans « Le Chasse-clou ».
PdB a dit:
Il y en a un qui va avoir le temps d’aller jouer aux boules, c’est l’ex-Benoit seize (je ne sais s’il va toucher une bonne retraite ce garçon-là) (ça c’était pour hier) et un autre qui devrait y aller, c’est le burlesque pédégé de l’ex-Régie (ça c’est pour le commentaire chez paumée qui m’a mis en joie) : LTàG, en très grande forme, donc…! (la chanson de Dominique Grange : si j’étais prolo, je la chanterai, je souscris quand même car « le camp du peuple est notre camp »…)(le plan de retirer la faucille et le marteau de la carte du parti est un coup bas)
Dominique Hasselmann a dit:
@ PdB : Dominique Grange, à l’époque des chansons engagées et non de la guimauve à la Delerme et autres ectoplasmes.
Quant à la carte du PCF, un signe de plus (ou de moins).
Zoë Lucider a dit:
J’aime beaucoup la pétanque, tout le monde participe, ceux qui tirent ou qui pointent et les spectateurs qui accompagnent d’exclamations ce jeu paisible. Jamais entendu parler d’un coup de boule par un joueur de pétanque 🙂
Dominique Hasselmann a dit:
@ Zoë Ludider : cochonnet qui s’en dédit.