Étiquettes
Georges Perec, La Vie mode d'emploi, Paris, rue Deguerry (11e)
L’autre jour, j’ai dévisagé et photographié, sans même son consentement, un bâtiment à Paris, rue Deguerry (11e) et j’ai repensé à La Vie mode d’emploi de Georges Perec.
C’est amusant parce qu’en feuilletant à nouveau mon Livre de poche – acheté le 3 mars 1980, comme noté au dos de la couverture – j’ai retrouvé une fiche restée à l’intérieur et qui me met rétrospectivement en faute. Hélas, le numéro de téléphone a dû changer…
« Parfois il imaginait que l’immeuble était comme un iceberg dont les étages et les combles auraient constitué la partie visible. Au-delà du premier niveau des caves auraient commencé les masses immergées : des escaliers aux marches sonores qui descendraient en tournant sur eux-mêmes, de longs corridors carrelés avec des globes lumineux protégés par des treillis métalliques et des portes de fer marquées de têtes de mort et d’inscriptions au pochoir, des monte-charges aux parois rivetées, des bouches d’aération équipées d’hélices énormes et immobiles, des tuyaux d’incendie en toile métallisée, gros comme des troncs d’arbres, branchés sur des vannes jaunes d’un mètre de diamètre, des puits cylindriques creusés à même le roc, des galeries bétonnées percées de place en place de lucarnes en verre dépoli, des réduits, des soutes, des casemates, des salles de coffres équipées de portes blindées.
Plus bas, il y aurait comme des halètements de machines et des fonds éclairés par instants de lueurs rougeoyantes. Des conduits étroits s’ouvriraient sur des salles immenses, des halls souterrains hauts comme des cathédrales, aux voûtes surchargées de chaînes, de poulies, de câbles, de tuyaux, de canalisations, de poutrelles, avec des plate-formes mobiles fixées sur des vérins d’acier luisants de graisse, et des carcasses en tubes et en profilés dessinant des échafaudages gigantesques au sommet desquels des hommes en costume d’amiante, le visage recouvert de grands masques trapézoïdaux, feraient jaillir d’intenses éclairs d’arcs électriques. (…) »
(Georges Perec, La Vie mode d’emploi, Hachette 1978, Le Livre de poche, 1er trimestre 1980, Chapitre LXXIV, Machinerie de l’ascenseur, 2, page 444.)
(La photo ci-dessus en dissimule une autre : cliquer pour la faire apparaître.) (Photos prises le 6 février, de 17h.11 à 17h.18. Toutes sont agrandissables sauf celle qui en masque une autre.)
brigetoun a dit:
superbe la série de photos, en combien de temps ? et entre quelles pages négligées était la fiche ? (à moins qu’elle ait, sans complexe alors, servi de marque page)
Dominique Hasselmann a dit:
@ brigetoun : le temps est indiqué sous la dernière photo = 7 minutes (je devais attendre que des passants arrivent pour qu’il y ait quelque « événement » sur l’image).
La fiche, je n’ai pas noté la page, elle a sans doute été remise n’importe où après la lecture terminée.
Claire a dit:
Comme le cavalier, vous avez cliqué 64 fois, mais jamais du même endroit ?
Dominique Hasselmann a dit:
@ Claire : celui du jeu d’échecs ?
Je n’ai cliqué que douze fois et j’ai un peu changé les angles, surtout pour la dernière image où j’ai posé le genou par terre pour avoir un effet de contre-plongée (il n’y a jamais aucun recadrage ou intervention sur les photos d’origine).
Skif a dit:
Amusant, la métaphore est « iceberg », mais la description fait penser surtout au Titanic…
Dominique Hasselmann a dit:
@ Skif : c’est donc tout à fait logique !
Anthropia a dit:
Saisissante série de photos d’une rue que je fréquente parfois… et pour le texte, judicieux extrait
Dominique Hasselmann a dit:
@ Anthropia : je me suis amusé à cette « tentative de description »… par la photo. L’immeuble attire forcément le regard.
biscarrosse2012 a dit:
L’année dernière, mes amis du cinquième étage m’ont montré un film assez farfelu des années 80, avec Depardieu, dont je n’ai pas retenu le titre, où l’on voyait un immeuble haussmannien de Paris en protagoniste d’une transformation apocalyptique due aux sables qui envahissaient la ville en changeant complètement son visage… Je n’ai pas trop aimé le film, mais l’idée de voir tout renversé, le sable (ou l’eau d’une crue) obligeant à redécouvrir un même « organisme » avec de nouveaux paramètres et points de vue, cela me plaît. Je sais que dans Perec l’idée du renversement (linguistique surtout) est primordiale, tandis que dans cette page on ressent aussi le reflet de la prose aventureuse de Jules Verne ou aussi des manuels riches et fouillés du XIXe…
Dominique Hasselmann a dit:
@ biscarrose : je chercherai car je ne crois pas avoir vu ce film…
Perec est un inventeur rigoureux !
godart a dit:
Vous voilà démasqué, après avoir vu le film « caché », c’était donc vous!
Dominique Hasselmann a dit:
@ godart : pas tout à fait car ces images ne sont pas animées (même si mon nom commence aussi par un H)…
les cafards a dit:
bel assemblage et belle association d’idées
Dominique Hasselmann a dit:
@ les cafards : merci !
Désormière a dit:
Mais comment photographier la partie cachée de l’iceberg et la descente vertigineuse dans la pièce la plus fantastique du puzzle ? La civilisation de l’image ne pourra jamais nous la dévoiler. Et c’est très bien.
Dominique Hasselmann a dit:
@ Désormière : l’imagination n’est heureusement pas limitée en nombre de pixels !
PdB a dit:
Jacques Hillairet (que je consulte pour vous, lectrices&lecteurs de commentaires) (p 421, tome 1 du Dictionnaire historique des rues de Paris, Minuit, 09° édition, 1985, 2 tomes) indique que « cette rue a reçu le nom de « Deguerry » en 1875, du nom de l’abbé, curé de la Madeleine « massacré sous la Commune » (sic).
(sont-ce des bow-windows ou des vérandas en vert sur l’immeuble ?)
Dominique Hasselmann a dit:
@ PdB : des vérandas me sembleraient un peu communes.
Francesca a dit:
La photo dissimulée montre la voiture blanche (je suis infoutue de reconnaître les marques…) dotée d’une plaque d’immatriculation joliment palindromique.
Je n’ai pas demandé ta permission pour envoyer ce bel article à l’assoce Perec, ta modestie dût-elle en souffrir…
PdB a dit:
@Francesca (c’est une ford) : j’ai fait pareil au notulographe, nouvellement administrateur de cette association, afin qu’il porte ce billet au bulletin qu’il rédige…
Dominique Hasselmann a dit:
@ PdB : merci pour la réponse à Francesca et pour le lien idem !
Francesca a dit:
@PdB : bien joué, l’ami Philippe fera ce qu’il faut !
Dominique Hasselmann a dit:
@ Francesca : oui, une Ford, on voit le logo à l’arrière.
Quant à la plaque, elle a effectivement un « air de W » que je n’avais pas observé lors de la prise de la photo…
Pour le lien, libre à toi !
Pingback: Bloguer ou ne pas bloguer » Femmes et étoiles
Bonheur du Jour a dit:
Plus bas encore….Et plus loin encore …. et plus bas encore… plus bas….et, tout en bas….
J’aime vos photos car, comme le texte de Perec, on peut aller au-delà et imaginer toute une histoire, tout un monde.
Bon week-end.
Dominique Hasselmann a dit:
@ Bonheur du Jour : oui, ça continue…
Bon week-end à vous aussi !