Étiquettes
La mise sous vitrines de Guy Debord à la BnF, le 27 mars prochain, expo sponsorisée notamment par Roederer (il aurait sans doute apprécié), m’a fait parcourir à nouveau certains de ses écrits, pas tous uniquement théoriques.
J’ai eu envie de recopier ce passage de Panégyrique (Editions Gérard Lebovici, Paris, 1989, tome premier, pages 61-64) :
« C’était un pays d’orages. Ils s’approchaient d’abord sans bruit, annoncés par le bref passage d’un vent qui rampait dans l’herbe, ou par une série d’illuminations soudaines de l’horizon ; puis déchaînaient le tonnerre et la foudre, qui alors nous canonnaient longtemps, et de toutes parts, comme dans une forteresse assiégée. Une seule fois, la nuit, j’ai vu tomber la foudre près de moi, dehors : on ne peut même pas voir où elle a frappé ; tout le paysage est également illuminé, pour un instant surprenant. Rien dans l’art ne m’a paru donner cette impression de l’éclat sans retour, excepté la prose que Lautréamont a employée dans l’exposé programmatique qu’il a appelé Poésies. Mais rien d’autre : ni la page blanche de Mallarmé, ni le carré blanc sur fond blanc de Malevitch, et même pas les derniers tableaux de Goya, où le noir envahit tout, comme Saturne ronge ses enfants.
Des vents violents, qui à tout instant pouvaient se lever de trois directions, secouaient les arbres. Ceux de la lande du nord, plus dispersés, se courbaient et vibraient comme des navires surpris à l’ancre dans une rade ouverte. Les arbres qui gardaient la butte devant la maison, très groupés, s’appuyaient dans leur résistance, le premier rang brisant le choc toujours renouvelé du vent d’ouest. Plus loin, l’alignement des bois disposés en carrés, sur tout le demi-cercle de collines, évoquait les troupes rangées en échiquiers dans certains tableaux de batailles du XVIIIe siècle. Et ces charges presque toujours vaines, quelquefois faisaient brèche en abattant un rang. Des nuages accumulés traversaient tout le ciel en courant. Une saute de vent pouvait aussi vite les ramener en fuite ; d’autres nuages lancés à leur poursuite.
Il y avait aussi, dans les matins calmes, tous les oiseaux de l’aube, et la fraîcheur parfaite de l’air, et cette nuance éclatante de vert tendre qui venait sur les arbres, à la lumière frisante du soleil levant, face à eux.
Les semaines passaient insensiblement. L’air du matin, un jour, annonçait l’automne. Une autre fois, par un goût de grande douceur de l’air, qui est sensible dans la bouche, se déclarait, comme une rapide promesse tenue, « le souffle du printemps ».
(Paris, quai de Jemmapes, 10e, le 19 mars. Cliquer ou bouger la photo pour élargir l’espace.)