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"Vases communicants", Formulite, François Bonneau, L'inatttendu (1/2)
Aujourd’hui, j’ai le grand plaisir d’accueillir ici François Bonneau, tandis qu’il me reçoit sur son blog L’irrégulier.
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C’était une belle idée. Elle m’est arrivée au réveil, s’est posée comme une fleur dans une faille de ma conscience. C’était une idée révolutionnaire, en forme de chiffres alignés, il y avait une racine carrée, devant. Fière allure, cette idée, qui allait faire progresser l’homme et l’emmener vers des lointains.
Quand j’ai eu fini de m’habiller, les chiffres s’étaient brouillés, étaient devenus abstraits. Il ne m’en restait rien de plus, que ce souvenir un peu frustrant, d’une belle formule que je n’avais pas comprise.
C’était une belle idée, qui s’est peut-être posée sur moi par erreur. Les idées sont peut-être de la famille des abeilles, qui flottent et bourdonnent silencieusement, et rarement, qui se trompent de plante. Ou bien j’étais peut-être la seule plante à idée des environs.
C’était une idée révolutionnaire, qui n’a pas révolutionné le monde, jolie forme de chiffres alignés, il y avait une racine carrée, devant.
C’est revenu le lendemain. Une nouvelle formule. Aussi jolie que la première, belle comme une langue étrangère. Quelques lettres, des barres obliques, pas de racine carrée du tout. Une nouvelle idée brillante, qui s’est encore volatilisée à l’habillage.
Et puis une autre m’est apparue, le jour d’après, encore différente. Et puis une autre, encore, ainsi de suite.
Semaines après semaines, chaque matin, se posait comme une fleur dans une faille de ma conscience, une nouvelle idée, une nouvelle brillante formule que je ne comprenais pas, jamais la même.
J’ai bien essayé de garder un petit carnet sur ma table de nuit, pour ne plus perdre ces données précieuses. Mais le temps d’allumer la lampe, le matin venu, le temps de chercher un crayon, et la belle formule s’était liquéfiée dans mon esprit, sans perdre de sa superbe.
Les formules finirent par former un magma, comme un tableau abstrait. Mon front se gonflait sûrement de toutes ces idées incomprises, arrivées là par hasard. Oui, j’étais certainement gonflé, boursouflé, hideux. Je ne voulais plus me voir dans la glace. Peut-être les formules cherchaient-elles à sortir, à regagner leur mathématicien, celui que je n’étais pas.
Sortie de l’appartement. Là, en face : labo, paillasson, politesse, pas de vision de mes boursouflures dans l’œil de l’infirmière. Examens, aiguilles. Et si c’était elle, la destinataire ?
Rentrer chez soi, attendre quatre jours.
Résultats reçus. Encourageants.
Bénin, oui, mais à surveiller, repos absolu, prenez impérativement deux semaines d’arrêt total du travail, ne prévenez pas votre famille, ce n’est rien, ne traînez pas non plus, n’emportez que le strict minimum, isolement complet pendant dix jours, non, pas de quoi s’inquiéter, non, surtout pas de lecture, avez-vous actuellement un traitement pour quoi que ce soit ?
On n’entre pas dans un monument historique en vélo avec son chien, voyons. Mais on va vers la lumière. Vers le lisse.
Je ne sais comment j’ai contracté ma formulite. On dit que ça circule, ces jours-ci. J’avais vu juste, c’est comme des abeilles, qui se sont perdues, qui vont au mauvais endroit. Ici, on m’a dit que, sans incision, on les ferait sortir. Qu’on les redistribuerait. Que des physiciens m’attendent pour finir leurs travaux.
Ma formulite ne me laissera pas de séquelle. Je pourrai dormir tard, enfin.
(Toutes les photos sont agrandissables.)
texte : François Bonneau
photos : Dominique Hasselmann
bocdale100 a dit:
Reblogged this on bocdale100's Blog.
Dominique Hasselmann a dit:
@ bocdale : merci pour ce « reblogage » !
Lignes bleues a dit:
Happy apiculteur la nuit ne ment, ne s’en lave les mains des chiffres et lettres, enfin réconciliés en formules algébriques
PdB a dit:
on voit apparaître, au loin, l’hôpital (les photos sont chouettes, et le texte aussi – peut-être plus aisé à lire qu’à entendre, remarque) (mais c’est sûr que les photos sont mieux en tout cas)
PdB a dit:
naann les photos sont mieux là que là-bas, lors de la projection…
Dominique Hasselmann a dit:
@ PdB : cette précision s’imposait, mais hier soir j’ai trouvé que les projections étaient bien, non ?
PdB a dit:
Très bien, oui, mais mieux ici dans le corps du texte
@ PdB: oui, d’accord ! D.H.
helenablue a dit:
J’aime bien cette idée d’échange… Belle initiative!
Quant à cette Formulite, elle m’a bien fait sourire!
Chouettes les photos, celle de la cigarette au labo et cet arbre à la peau de crapaud!
🙂
Dominique Hasselmann a dit:
@ helenablue : merci pour la mention, également, des photos !
dominique autrou a dit:
Les séquelles se reformulent racines, ceux qui avaient oublié celles-ci s’inventeront celles-là.
Elisabeth Le Tutour a dit:
« ENTREE INTERDITE AUX CHIENS, AUX JUIFS ET AUX BICYCLETTES » Vu sur la porte cochère donnant accès à la bibliothèque et aux musées de Rouen au début des années 1940…
Dominique Hasselmann a dit:
@ Elisabeth Le Tutour : les Nazis pensaient que les bicyclettes disposaient de leur libre arbitre !
godart a dit:
La formulite comme réceptacle de champ des possibles sous forme de racine carrée, pourquoi pas. Heureusement cette formulite peut-être incisée et partagée. Tout se crée, rien ne se perd.
Désormière a dit:
C’est là que l’on voit à quel point le hasard de photos disparates, peut aboutir avec bonheur à un texte en harmonie avec son illustration de fortune.
Dominique Hasselmann a dit:
@ Désormière : tout le sel de l’exercice était là…
biscarrosse2012 a dit:
Quand je visitai le château de La Brède, je fus étonné et admirais l’anecdote sur les réveils nocturnes de Montesquieu qui avait probablement la tension plus haute que basse et donc le matin avait toujours des idées lumineuses, sinon des formules incontournables. Il réveillait à chaque fois son secrétaire (qui peut-être avait la tension très basse) et l’obligeait à écrire sous « dictature » (en fait c’étaient des dictées, les siennes).
Peut-être, si ce malade de « formulite » avait eu un secrétaire (ou mieux une secrétaire) l’histoire se serait déroulée différemment.
Compliment pour ce texte que j’ai beaucoup aimé !
biscarrosse2012 a dit:
Et compliments pour ces très belles photos, qui ont créé les conditions pour une inspiration à la fois logique et poétique !
Dominique Hasselmann a dit:
@ biscarrosse2012 : merci !
François B a dit:
Bonsoir à tous, merci pour ces commentaires qui me vont droit au cœur ! L’échange a été stimulant et des plus agréables !
Sorcière a dit:
Magique ! j’ai vraiment beaucoup aimé … 🙂
Dominique Hasselmann a dit:
@ Sorcière : merci également.
Francesca a dit:
Merci aussi pour ce tronc « tormentosus » de paulownia ! Je suis folle de cet arbre dont les fleurs précèdent les feuilles, en cônes mauves comme des grappes de glycine inversées (elles vont bientôt éclore).
Tes formules manquées ne seraient-elles pas lovées aux creux des calices ?
Dominique Hasselmann a dit:
@ Francesca : cet arbre assez torturé se trouve dans le parc de l’hôpital Saint-Louis.