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"Jimmy P.", Arnaud Desplechin, Benicio del Toro, cinéma, ethnopsychiatrie, Freud, Georges Devereux, Gina McKee, Mathieu Amalric, Panaflex, petit marquis
Le magasin qui vend des « raccords » se trouve logiquement sur la route qui mène au cinéma MK2 quai de Loire, à Paris (19e). On peut y aller à pied, en vélo, en métro, en auto ou en bateau.
Le film Jymmy P. (« Psychothérapie d’un Indien des Plaines ») possède une sorte de pouvoir d’attraction spécial : il ressemble à une production américaine tout en ayant réussi à garder une « patte » française et artistique spécifique qui est celle d’Arnaud Desplechin.
L’histoire est racontée ici, nous n’y revenons pas en détails.
Ce qui frappe et séduit dans ce film, c’est le lien qui s’établit entre le « malade » (Benicio del Toro, magnifique comme toujours) et le psychanalyste (Mathieu Amalric, survolté et impliqué), entre le symptôme et la thérapie, entre l’expression hasardeuse et l’écoute attentive.
Les deux personnages principaux jouent au chat et la souris : l’un cherche à sortir du labyrinthe des souvenirs traumatiques qu’il a vécus durant la seconde guerre mondiale, l’autre à trouver la clé qui permettra de déboucher sur la résolution de ce conflit interne.
La mise en scène, fluide et inventive d’Arnaud Desplechin, peut-être un peintre sous-estimé (des plans somptueux et courts, comme l’arpent fleuri et délimité qui reste à moissonner dans la plaine immense, image de ce qu’il faudra éradiquer à la fin) embarque le spectateur dans une croisière psychologique où la « résistance » – au sens freudien du terme : comme la barbe et la moustache postiche dont s’affuble un instant le docteur Georges Devereux – est à vaincre à force de retours en arrière, de rêves racontés et notés, d’une empathie partagée et, pour contrôle, d’une opération qui semble aujourd’hui d’un mécanisme barbare incroyable.
La « cure » entreprise est aussi celle du psychanalyste lui-même qui, aussi bien dans sa relation avec la jolie Madeleine (Gina McKee) que dans la « culpabilité » à laquelle il ne se sent pas lié (qu’il s’agisse du massacre des Indiens par les Américains que sans doute les conditions d’exécution de la Shoah) entreprend un « travail » sur lui-même dans le temps exact de l’ethnopsychiatrie dont il est la figure de pointe : on le reverra plus tard allongé sur un divan, comme prolongeant les séances qu’il a entretenues avec son patient, celui dont le patronyme d’origine signifie « Tout le monde parle de lui ».
Ce film apporte comme une suite aux Cinq psychanalyses de Freud (PUF, 1967) : il pourrait en être le sixième « cas » et Arnaud Desplechin aurait ainsi troqué le stylo autrichien contre la caméra US (une Panaflex, sans doute), faisant alors advenir, n’en déplaise au petit marquis médiatisé de la contestation intellectuelle, la force de la thérapie basée sur l’écoute de la parole douloureuse, dans la bande-son elle-même d’un film où les strates de la mémoire s’emboîtent avec les plans tirés, « au petit bonheur la chance », sur la comète mentale de chacun.
brigetoun a dit:
contente d’avoir un avis positif sur ce film – aime Desplechin depuis son premier film (sortais d’une maison en deuil et l’avais trouvée d’une parfaite justesse) et j’étais surprise par le bruit de fond dépité des petits marquis de la critique à la radio – il est vrai que ce n’est pas la première fois
Dominique Hasselmann a dit:
@ brigetoun : vu il y a quelques minutes une critique sur le site de RFI prétendant que le film n’ajoute rien au livre dont il est tiré.
Qui a lu Geoges Devereux ? Et qui peut rester insensible (sauf un rédacteur de RFI) à la mise en scène virtuose d’Arnaud Desplechin ?
Liliane Langellier (@LaLangelliere) a dit:
Ce n’est sans doute pas sans raisons que les américains traduisent le mot « analyse » par « talking cure »… La parole libère… La vôtre m’a donné envie de voir ce film…
Dominique Hasselmann a dit:
@ Liliane Langellier : une « cure » d’environ deux heures ne peut faire de mal !
francisroyo a dit:
Rien à ajouter aux mots de Brigetoun.
Si : oh, le petit chaperon rouge!
Dominique Hasselmann a dit:
@ francisroyo : il y en a même deux !
Christiane a dit:
Bonheur de lire votre billet, le lien »ici » permettant de connaitre les 2 articles de Libération (excellents) et de penser à tout cela en se promenant dans vos photos. Pour ma part, je l’ai vu , hier, au cinéma des Cinéastes. Grand moment. Film qui m’a embarqué sur le crête périlleuse du travail de parole entre Jimmy P. et G.Devereux. C’est fragile, incertain. Ça tient par l’amitié plus que par les résultats qui restent, un temps, guère convaincants. On sent juste que cet homme est malade plus de l’âme que du cerveau. C’est un homme blessé, oui, mais pas par la guerre (guère évoquée si ce n’est par les hôtes de cet hôpital). On sent qu’il est piégé par des images, des scènes du quotidien qui le renvoient ou à sa vie d’enfant, d’homme ou à sa filiation (indien rescapé avec sa généalogie d’un massacre antérieur même s’il a fait des études).
Mathieu Amalric et Benicio del Toro sont impeccables. On oublie vite que c’est un film. On plonge dans ces deux errants, celui des vastes plaines et cet ethnologue, complètement perdus dans leur vie. Les « mots » de tête comme il est écrit dans l’article de Libé.. J’aime que vous ayez mis l’accent sur l’écoute attentive. Tout se tient là. Savoir écouter… pas donné à tous… en plus, savoir traduire… encore moins donné à tous… Ne sommes-nous pas tous des « indiens » dans la vie ?… Arnaud Desplechin a fait là un grand film.
mercredi 18 septembre à 20h, au cinéma des Cinéastes discussion avec M.Amalric et Tobie Nathan (ethnologue)
Dominique Hasselmann a dit:
@ Christiane : merci pour votre commentaire qui prolonge ce billet…
Oui, oublier que l’on est au cinéma signe la réussite d’un film !
burntoast4460 a dit:
Je note que ce film est à voir. J’aime bien ce réalisateur, que je suis depuis le début. Bien qu’ « Un conte Noël » m’ait plu modérément.
Michel Onfray est crispant quand il parle sans nuances de Freud ; bien qu’une fois il ait commis un article critique sur Sartre (dans Le Monde je crois), qui rejoignait tout à fait ce que je pense (de Sartre).
Dominique Hasselmann a dit:
@ burntoast4460 : Onfray défraie la chronique et défrise les analystes sensés. Son extrémisme intellectuel (« déboulonneur professionnel de statues ») le rend infréquentable.
burntoast4460 a dit:
J’ai une formation philosophique au départ. Ce que je reproche surtout à Onfray, c’est que ses livres « philosophiques » ne sont pas très intéressants, ni formateurs. Et depuis qu’il a pété les plombs avec Freud, c’est un triste.
Quand Jacques Bouveresse (ex prof. Collège de France), philosophe analytique, critique un auteur, il le lit intégralement et pèse le pour et le contre, avec un débat enrichissant. Avec Onfray, on a l’impression qu’il règle des comptes, mais par le bas, pas par le haut.
@ burntoast : il s’est trouvé un créneau rentable (« déboulonneur » en chef) et utilise plus, à tort et à travers, le démonte-pneu (ça fait du bruit dans les médias) que la clé à pipe. D.H.
burntoast4460 a dit:
J’ai aussi fait une maîtrise de philo en épistémologie sur la notion de contingence au XIXème, (juste avant la notion de probabilité), sous la direction de Jacques Merleau Ponty (neveux de Maurice MP), spécialiste en cosmologie relativiste. Un homme charmant, d’un rigueur parfaite (même austère) à l’opposé d’Onfray. On n’avait pas intérêt à faire dans l’obscur (façon Heidegger/Derrida) ou dans le vague, genre BHL, ni à copier qui que ce soit, il avait tout lu.
@ burntoast : Onfray à moins. D.H.