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Deep End, enchantement, Jerzy Skolimowski, MK2 Parnasse, salle 3
Malgré l’étroitesse de la salle 3 du cinéma MK2 Parnasse (Paris, 6e), l’écran acquiert, durant la projection soudain remémorée au fur et à mesure, une dimension à la fois cinémascopique et onirique : nous sommes entrés dans la fiction, nous nageons aussi dans la profondeur aquatique, la piscine est un cadre cubique au sein duquel règne l’ubiquité.
(Photo : 13, rue Jules Chaplain, hier à 13h.35. Cliquer pour agrandir.)
Le film Deep End (1971), de Jerzy Skolimowksi, est ressorti en copie neuve depuis le 13 juillet à Paris et il passe encore dans quatre salles. Incontournable !
Cette oeuvre demeure un enchantement, grâce au jeu de ses deux acteurs principaux (Jane Asher et John Moulder-Brown), au scénario constamment inventif et à la manière de filmer du cinéaste.
Le rouge et le bleu se marient dans la piscine (les bains publics où travaille l’adolescent), on pense même un moment à Pierrot le Fou de Godard, mais c’est bien plus que « le sublime ancêtre des teen movies », il s’agit d’une réflexion sur la noyade dans l’amour impossible, le jeu de la séduction – l’eau reflétant dans le miroir brisé le liquide amniotique dans lequel rejoindre peut-être la paix d’avant la naissance – et l’élan vers l’inaccessible.
Skolimowski, à partir d’un lieu unique, embarque ses protagonistes dans le ballet du désir refusé ou accordé sur les lèvres mêmes, dans la découverte électrisante du sentiment amoureux déclaré : naviguant au-dessus de tous les autres personnages, englués dans leur conformisme ou leur aveuglement créé par le quotidien, ses deux héros sont faits pour s’entendre au-delà des paroles, des regards, des gestes furtifs (séquence si émouvante, quasi stendhalienne, lors de la projection d’un film plus ou moins érotique).
L’art de Skolimowski est de ne laisser aucun répit à la passion, de la filmer poétiquement comme une compétition (course à pied dans la neige, saut nocturne depuis le plongeoir…), rythmée par le sifflet de l’amant défait, de la dépeindre en jouant sur toute la palette des couleurs vives (l’imperméable jaune fluo de la fille, la voiture rouge à bandes blanches, le vélo mi-course bigarré du garçon), qui sont celles aussi des yeux – magnifiques gros plans, vers la fin, où les cils deviennent des barrières enfin abattues – en les cadrant sur la toile dans leur écoulement (l’homme au rouleau dans le couloir qui annonce les pots de peinture rouge sang renversés plus tard, avant le balancement des projecteurs dans la piscine), dans leur aspersion.
Mais le temps, si court, était déjà venu d’émerger et de se retrouver, passée la porte de sortie de la salle obscure, dans la rue ensoleillée juste à côté. Presque bêtement, si l’on peut écrire.
(Photos : cliquer pour agrandir le hors-champ.)
(Cat Stevens, But I Might Die Tonight)
gballand a dit:
Vous m’avez convaincue…
Dominique Hasselmann a dit:
@ gballand : les horaires des séances à Paris sont assez aléatoires… (je n’ai pas vérifié si on trouvait ce film en DVD).
brigetoun a dit:
me voici avec grand regret de ne pas l’avoir vu
Dominique Hasselmann a dit:
@ brigetoun : normalement, le DVD du film devrait sortir en France à l’automne.
Mais on peut déjà le commander ici pour 20 $.
Nicolas Bleusher a dit:
S’attendre au Charivari…
Dominique Hasselmann a dit:
@ Nicolas Bleusher : au coeur, oui.
JEA a dit:
Le charivariété ?
Dominique Hasselmann a dit:
@ JEA : en anglais, ce serait le magazine « Variety » !
Françoise Granger a dit:
Bravo Dominique et merci ! C’est la meilleure critique que j’aie lue de ce film en effet magnifique, que j’avais manqué comme les autres à leur sortie -période de ma vie plutôt difficile !
Je savais juste que Jerzy Skolimowski avait écrit le scénario du Couteau dans l’eau de Polanski et j’ai été subjuguée par la modernité incroyable de son cinéma que vient d’éclairer le MK2 Beaubourg.
Dominique Hasselmann a dit:
@ Françoise Granger : découvert comme vous, ensuite, son rôle de scénariste dans « Le Couteau dans l’eau » de Polanski.
Et cela m’incite à revoir « Les Promesses de l’ombre » (excellent David Cronenberg) dans lequel Skolimowski apparaît, mais je ne l’avais pas repéré à la vision du film, quand il était sorti en 2007.
Marin Karmitz, quoi qu’on en dise, fait du beau boulot.
Aron Scyvejef a dit:
Nom d’un architecte ( Albert Prugnaud ) ce mascaron est chavirant mais n’aurait-il pas une petite coquetterie dans l’oeil ?
Dominique Hasselmann a dit:
@ Aron Scyvejef : certes, mais n’est-ce point là tout son charme ?
Sorcière a dit:
Je reste sans mot ! une critique du film qui sera culte elle aussi. Merci Dominique.
Dominique Hasselmann a dit:
@ Sorcière : c’est le film qui est responsable !
Pierre Chantelois a dit:
Un grand éclat lumineux dans une salle obscure. Du vrai cinéma 😉
Dominique Hasselmann a dit:
@ Pierre Chantelois : cela arrive parfois.
brigitte giraud a dit:
Est-ce qu’on sort avec la sensation d’un désastre de soi ? Il y a des films comme ça, qui poursuivent de leur beauté.
Dominique Hasselmann a dit:
@ Brigitte Giraud : plutôt un astre noir…
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