Étiquettes

, , , ,

Quoi de plus frais qu’une salle de cinéma, hier en début d’après-midi au milieu de la canicule et au bord du quai de Seine (presque au bord d’elle), dans le XIXe, aussi bien l’arrondissement que le siècle en début de partie.

Je comptai juste une dizaine de spectateurs perdus dans la grande salle, à cette heure trop catholique pour être honnête.

L’Apollonide est une oeuvre étrange – par son insolente beauté opiacée – de Bertrand Bonello. Sous couvert de reconstituer les « souvenirs d’une maison close » (sous-titre) de l’époque, il dresse un tableau impitoyable et précis de la situation des « filles », enfermées dans un univers de dépendance, factice et sadique, où le champagne coule à flots comme les larmes de la misère ravalée.

Ce qui caractérise ce film : sa maîtrise technique, que ce soit le montage au rasoir, de l’image – chef opérateur-opératrice : Josée Deshaies – (avec deux split-screen formidablement osés) et du son, ou le jeu impeccable des actrices et acteurs (le cinéaste Xavier Beauvois s’est mis dans la peau d’un « client ») évoluant parmi certains décors de rêve.

La musique, en dehors de quelques morceaux impeccablement décalés comme le célèbre Nights in White Satin des Moody Blues, est également signée Bertrand Bonello.

Avec une extrême audace, L’Apollonide mêle les fantasmes et la réalité (séquence surréaliste des yeux de « La Juive » laissant s’écouler en rêve le sperme de son assaillant), met en scène le tableau des soies et des lits défaits tout en offrant une échappée ensoleillée avec un déjeuner sur l’herbe et sur l’eau à la Manet.

Rarement, la rigueur du cadre a été aussi fermement conduite pour un film au sujet aussi délicat qui débouche sur l’interrogation de notre regard, aujourd’hui, sur les corps qui se vendent, se proposent ou s’exposent à travers une prostitution de luxe ou une déchéance de caniveau.

Derrière une autre vitrine, celle de l’écran de télévision (mais à une heure de plus faible écoute que lors du premier débat), les six candidats aux « primaires citoyennes » étaient venus le soir s’offrir une nouvelle fois à nos suffrages.

Là aussi, il s’agissait de s’exercer à choisir pour tenter, un jour, que le monde ouvert à notre regard ne soit plus celui de l’être humain transformé en pure marchandise, même présentée sous le strass, le maquillage ou un masque blanc.

(Photos prises mercredi à Paris. Cliquer pour agrandir.)