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Ce qui fait particulièrement plaisir dans Tous au Larzac, le film percutant de Christian Rouaud (réalisateur d’un documentaire sur la lutte des « Lip » en 2007), sorti mercredi dernier, c’est de ressentir la force de conviction qui émane des interviewés actuels, qui revoient leur engagement dans la lutte contre l’extension du camp militaire jusqu’au soir de l’annonce de la victoire de François Mitterrand, le 10 mai 1981, qui avait fait une incursion sur leur terre avant d’être élu et qui fut bombardé de quelques cailloux (notamment par un membre des Renseignements généraux !) lors de sa venue sur place.

Ce qui captive, c’est le lien étroit tissé entre le passé de ce combat qui semblait perdu d’avance – des paysans contre des militaires, des brebis contre des jeeps, des tracteurs contre des gendarmes mobiles, des chars et des canons – et la « formidable lutte de David contre Goliath », volonté intacte, toujours présente, de ne pas se laisser écraser par un Etat dont l’apparente puissance se dissimule derrière l’anonymat du prétendu bien public.

Ce qui émeut, ce sont ces femmes, ces hommes (avec leurs enfants) qui ont décidé un jour qu’on ne les expulserait pas du lieu où ils sont nés (un attentat fit même sauter une ferme, l’enquête aboutit à un non-lieu…), où ils avaient vécu, travaillé, s’étaient aimés, avaient fondé une famille et créé leur propre vie, et qui s’en souviennent, parfois les larmes aux yeux. Le risque-tout José Bové (celui plus tard du « démontage » du McDonald’s de Millau) analyse avec une grande finesse les stratégies mises en œuvre à l’époque (après qu’on lui a retiré ses droits civiques) et démontre la véritable dimension « écologique » qu’il a manifestée jusque dans sa lutte contre la firme Monsanto et qu’il poursuit dans son combat d’altermondialiste intransigeant.

Ce qui marque, ce sont les formules : la construction sauvage de la bergerie, « une manif en dur ! », « la fraternité des paysans et des usines », les inscriptions de l’époque : « Servir le peuple » (maos), « Ici et maintenant », les réflexions : « une extrême innocence » (José Bové), « En 73, 60 000 personnes sont venues puis sont rentrées chez elles et ont fait boule de neige »… « La légitimité l’a emporté sur la légalité » (José Bové), « on ne voyait plus le matin que des sacs de couchage orange ou bleus » remarque un interviewé, « le Larzac était devenu comme le Woodstock français, mais un Woodstock politique » dit aussi José Bové (phrases notées à l’aveuglette dans le noir du MK2 Beaubourg sur mon petit carnet), tout cela grâce à la détermination farouche des 103 résistants, appellation d’origine contrôlée.

Ce qui retient l’attention et provoque l’admiration, c’est, enfin, la manière élégante (on pense au Raymond Depardon de Profils paysans, la vie moderne, 2008) dont Christian Rouaud a su, en plus des documents d’époque montés avec talent, filmer et déployer, grâce à des mouvements de caméra qui fixent ou élèvent le point de vue, la beauté du plateau du Larzac – un chant d’honneur – tel qu’il apparaît maintenant, avec le soleil et les nuages dont les ombres courent soudain sur les champs couchés et les fermes de pierres debout, le vent qui fait frissonner la mer du blé en herbe, l’immensité du paysage comme soudain libéré et apaisé sous un ciel redevenu d’un bleu tout pur.

(Photo : cliquer pour élargir.)

(Claude Debussy, Syrinx)