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"Vases communicants", Ce que traduire veut dire, Danielle Carlès, fonsbandusiae-cours de latin
Le tiers livre et Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de « vases communicants » : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre. La liste complète des participants est établie grâce à Brigitte Célérier.
Aujourd’hui, j’ai le grand plaisir d’accueillir ici Danielle Carlès, tandis qu’elle me reçoit sur son blog Fons Bandusiae.
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Il y a bien sûr cette vieille histoire du traduttore traditore, ce jeu de mot d’une évidence implacable, dévoilant le péché originel du traducteur désigné, quoi qu’il en ait, comme un traître.
Le rapprochement des deux mots en italien fait mouche par la ressemblance des formes et la formule à son tour mime le propos qu’elle soutient : que toute traduction est un miroir déformant, que le salut du traducteur est de se « neutraliser » autant que possible, tendu vers une impossible transparence.
En français, la traduction de l’italien devient « traducteur, traître » et ne présente plus le même avantage phonétique si percutant. On le préserverait mieux en associant cette fois « traduction » à « tradition ». C’est un fait que « traître » et « tradition » sont étymologiquement liés, même si cela n’apparaît pas très clairement en français. L’un et l’autre remontent au verbe latin tradere « transmettre, remettre ». Le traditor est celui qui transmet à l’ennemi (comparer en français avec « donneur » par rapport à « donner »). Mais en gommant la trahison l’aubaine d’une alliance de mot incisive s’est perdue.
Les deux verbes latins tradere et traducere sont visiblement faits de la même manière, comportant l’un et l’autre le même préverbe tra- (forme réduite de trans-), comme en français « trans-porter », etc. Par ailleurs, « tra-duire » comporte le même verbe que « con-duire » ou « ré-duire ». Le verbe « traduire » est l’exact héritier du latin traducere. Ce dernier a-t-il quelque chose à nous dire ?
Nous aurions en latin les phrases suivantes, incertaines en français : « Je traduis le fleuve », « Je traduis mes troupes par-delà le fleuve ». C’est que traducere signifie proprement « traverser », « conduire par-delà », « faire passer d’un lieu dans un autre » (comme dans le français « traduire en prison »).
Imaginons ainsi le traducteur passant d’une langue à l’autre, comme on traverse un fleuve, d’une rive à l’autre, et permettant aux autres de traverser sur ses pas : il transpose littéralement le texte. En fouillant la logique de la représentation, il n’est qu’une manière de concilier à la fois l’identité de l’objet transporté et l’altérité de l’objet transposé, c’est d’y voir une relation métaphorique. Et si le texte traduit est métaphore du texte original, voici que s’ouvre pour le traducteur une carrière plus enthousiasmante que d’être un faussaire éternel.
À ce stade on ne s’étonnera pas d’apprendre que les mots latins traductio ou translatio soient précisément employés pour la traduction du grec μεταφορά « métaphore ».
Tout ceci n’est que jeu de mots.
(Mont Saint-Michel, janvier 2011. Cliquer pour agrandir.)
Texte et photo : Danielle Carlès
Claire a dit:
Merci pour cette instructive balade parmi les langues.
Francesca a dit:
Merci aussi de m’avoir permis de découvrir le site de Danielle Carlès et de reprendre un peu de latin au petit déjeuner.
Dominique Hasselmann a dit:
@ Francesca : en plus, tu pourras bientôt lire Les Satires d’Horace, traduites par elle, chez publie.net.
jeandler a dit:
D’une rive à l’autre. Le traducteur n’est-il pas ce passeur qui parfois se trouve pris dans un courant ?
Elizabeth a dit:
C’est pourquoi cela m’a toujours amusée de voir en Grèce des camions circuler portant l’inscription « ΜΕΤΑΦΟΡΕΣ », c’est-à-dire transports, tout simplement…
Skif a dit:
Traduire, c’est savoir qu’on va échouer et y aller quand même. Qui verrait dans la proposition qui précède une marque de mépris se tromperait balourdement. Bravo pour le texte, la photo et l’entreprise. S’attaquer aux Satires ! Chapeau.
dominique autrou a dit:
Relisant Ulysse tantôt, pensée en spirale pour Philippe Lavergne.
PdB a dit:
Merci pour ces trahisons qui n’en seront donc plus, à présent… On ne s’ennuie pas avec ces traductions
(et comme je ne puis poser là-bas de commentaire -spam peut-être quand tu nous tiens ?- , je voudrais demander au Tourne à Gauche deux choses essentielles : la nouvelle épouse du président au petit pied, serait-ce Catherine Millet ? (ouh là); deuxième chose : « le courroux de Cucullus » me paraît un meilleur titre pour la resucée du film de Mann, qu’en dirais-tu ? – je cède l’idée contre un euro symbolique…- (si on pouvait nous épargner la scène de la salle de bain, là, ce serait un peu plus digeste…) (ce que j’en dis…) :°))
Dominique Hasselmann a dit:
@ PdB : je ne comprends pas que tu ne puisses déposer un commentaire sur le blog de fonsbandusiae, puisque moi-même j’ai pu répondre aux deux qui m’étaient destinés (et par magie chronologique anticiper leurs remarques !). Peut-être devrais-tu essayer avec une de tes autres adresses e-mail ?
Concernant la nouvelle épouse du Président, elle vient de recevoir il y a quelques jours le prix Sade, décerné dans la librairie Colette, rue Rambuteau.
Ensuite, merci pour ta proposition de titre, mais je pense qu’elle est réductrice sur deux plans (si je puis dire) :
– « Le courroux de Cucullus » ramènerait la démarche filmique à une simple saute d’humeur présidentielle alors qu’il s’agit bien de la chute du pays – à l’instar de celle de Rome – ce qui est nettement plus grave ;
– un « remake » possède plus d’impact quand il reprend le titre original (ou en lui adjoignant un numéro), même avec un léger détournement, qu’en inventant un autre titre qui n’apparaît pas de prime abord comme sa suite ou son interprétation plus moderne.
In fine, la scène de la salle de bains doit être maintenue car il s’en passe de belles durant celle-ci et nombre de spectateurs se déplaceront notamment pour la voir (cf. un épisode célèbre du Dernier tango à Paris de Bertolucci).
Tout ceci, bien entendu, dans le cas où la conclusion brutale de la préparation du film aurait pu être évitée !
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les cafards a dit:
qu’est e qu’on apprend et qu’elles sont belles ces langues !
Désormière a dit:
Traduire, traverser… Et d’une rive à l’autre perdre et gagner à la fois.
Danielle Carlès a dit:
Merci, Dominique, d’avoir permis cet échange et accueilli si bien mon petit texte.
Dominique Hasselmann a dit:
@ Danielle Carlès : petit (et encore…) dans la longueur, mais sûrement pas dans la profondeur !
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Frédéric Blondieau a dit:
Très intéressant, merci!
Et le latin « trans » provient d’une racine proto-indo-européenne *terə-2 (« au-delà »)
Frédéric