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« En marge des instants
C’est l’impossibilité de pleurer qui entretient en nous le goût des choses, et les fait exister encore : elle nous empêche d’en épuiser la saveur et de nous en détourner. Quand, sur tant de routes et de rivages, nos yeux refusaient de se noyer en eux-mêmes, ils préservaient par leur sécheresse l’objet qui les émerveillait. Nos larmes gaspillent la nature, comme nos transes, Dieu… Mais à la fin, elles nous gaspillent nous-mêmes. Car nous ne sommes que par le refus de donner libre cours à nos désirs suprêmes : les choses qui entrent dans la sphère de notre admiration ou de notre tristesse n’y demeurent que parce que nous ne les avons ni sacrifiées ni bénies de nos adieux liquides.
… Et c’est ainsi qu’après chaque nuit, nous retrouvant en face d’un jour nouveau, l’irréalisable nécessité de le combler nous transporte d’effroi ; et, dépaysés dans la lumière, comme si le monde venait de s’ébranler, d’inventer son Astre, nous fuyons les larmes – dont une seule suffirait à nous évincer du temps. »
E. M. Cioran, Précis de décomposition, Gallimard 1949 (idées nrf N° 94, 1966, pages 20-21).
Elle venait à ma rencontre, comme sortie d’un livre ancien ou d’un film dont il aurait été l’adaptation. Elle baissait la tête : j’avoue, j’en ai profité (ce n’est pas bien).
Et j’ai imaginé ses souvenirs, sa famille, ses enfants, ses petits-enfants, son défunt mari, les courses qu’elle venait d’effectuer, la journée qui s’annoncerait longue, ennuyeuse, la télé le soir, qui sait ? Et puis encore le lendemain : miracle du réveil, avec l’existence toujours là !
Une fois croisée, il y avait, un peu plus loin, ce vélo.
Mais pourquoi faudrait-il établir un lien entre ces deux images ? Chacune suivait sa vie propre et ses difficultés, peut-être (un objet peut-il souffrir ?).
Les conjonctions ne sont pas donc pas toutes de coordination ou de subordination.
(Paris, rue Alibert, 10e, le 15 mai, 10:58 et 10:59. Cliquer pour agrandir les photos.)